Des mots abandonnés
Ce n’est pas moi, humble chat (siamois toutefois), qui ai produit la littérature deux-pattes. Je ne suis pas davantage responsable de sa poésie… même si mon œuvre rayonnera un jour pour les siècles des siècles (sic).
L’abandon de certains « éléments du langage »
Je souhaite évoquer aujourd’hui le sort de ces mots malheureux (je les cite) :
« Algue », « bulbe », « dogme », « humble », « indemne », « monstre », « muscle », « pauvre », « quelque », « sceptre », « soif », « talc », « tertre », « turc », « valse ».
Ces pauvres petits chéris, substantifs ou adjectifs, n’ont pas de rime, m’a-t-il été rapporté par un deux-pattes dépité. La réhabilitation des mots ainsi abandonnés m’est apparue indispensable.
Le devoir du chat-rtiste
Un chat-rtiste, s’il a des droits (celui de dormir sur un coussin soyeux et confortable, par exemple) a aussi des devoirs. Je reviendrai dans une prochaine publication sur cette notion de devoirs et de droits, qui me semble évidente, à moi qui suis félin (donc pour l’autre).
Je cultive les mots à travers la poésie et aussi par le récit de ma deuxième vie, dans mon Eschylliade. Il était donc de mon devoir de voler (normal, je me nomme Eschylle avec deux « l ») au secours de ces éléments du langage abandonnés hors du champ poétique, et de les réhabiliter.
Un illustre prédécesseur
Je critique les deux-pattes mais ils ne sont pas tous de la même veine. L’un d’eux a déjà lancé un cri d’alarme au XIXème siècle. Tu as deviné, ô lecteur de qualité, qu’il s’agit de Victor Hugo.
Voici un petit extrait de Réponse à un acte d’accusation, poème de la Légende des siècles :
(…) Alors, brigand, je vins ; je m’écriai : Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ?
Et sur l’Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !
Je fis une tempête au fond de l’encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l’essaim blanc des idées ;
Et je dis : Pas de mot où l’idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d’azur !
(…)
C’est vrai, maudissez-nous. Le vers, qui, sur son front
Jadis portait toujours douze plumes en rond,
Et sans cesse sautait sur la double raquette
Qu’on nomme prosodie et qu’on nomme étiquette,
Rompt désormais la règle et trompe le ciseau,
Et s’échappe, volant qui se change en oiseau,
De la cage césure, et fuit vers la ravine,
Et vole dans les cieux, alouette divine.Tous les mots à présent planent dans la clarté.
Les écrivains ont mis la langue en liberté (…)
Je ne saurais trop te conseiller, lecteur ami des mots, de jeter un œil sur l’intégralité de ce poème. Il est consacré à la réhabilitation des mots méprisés, vilipendés, et mis de côté.
La réhabilitation des mots ainsi abandonnés est le devoir de celui qui les cultive, et Victor Hugo l’a proclamé dans ce poème avec force, génie et conviction. Il n’est pas question de laisser à une poignée de deux-pattes, autoproclamés défenseurs de la langue ou autre titre officiel, cette responsabilité. Encore moins à une multinationale placée en situation de monopole quant à l’information. Son goût gueule à l’encontre du bon sens. Il n’est que de voir ce qui se passe avec une autre multinationale dans le domaine des semences pour frémir quand des deux-pattes se trouvent en situation de toute-puissance.
Le devoir de réhabilitation des mots : quelques définitions
Avant de remettre ces mots à l’honneur, il est bon d’en dresser la liste et de rétablir quelques vérités sonores ou sensibles :
- Valse : salve slave ;
- Algue : alligator qui n’a pas tort, en japonais ;
- Bulbe : Rachid dit « hein ! » ;
- Dogme : chien qui mugit ;
- Humble : deux-pattes débutant ou expert ;
- Monstre : beau-frère (Quel monstre a ta sœur ? ou quelle heure a ta montre ?) ;
- Muscle : cerveau de certains deux-pattes ;
- pauvre : riche écorché ;
- quelque : part ;
- soif : accompagne la fin quand la haine a remplacé l’âme même ;
- Indemne : nie thé ;
- sceptre : c’est « peut-être » ;
- talc : sècheresse de fesses ;
- tertre : terre très condensée ;
- turc : tête.
Quelques petits textes en hommage…
Indemne
Indemne
Sans rime ni raison
Aime l’Inde !
Loin d’être une dinde
En ton oraison
Fais que l’Inde aime
Le bulbe de l’algue
L’humble bulbe,
Monstre indemne,
Muscle quelques pauvre turc
Malgré la soif du talc…
Et l’algue du dogme
S’enroule comme un sceptre…
Sépulcrale
Algue au rythme
L’algue
Alpague
L’aimable
Bulbe
Dogme du monstre
L’humble
Dogme
Montre
Le monstre
Et ses menstrues
Muscle indemne ?
Le musc, le
Pauvre
Muscle
Un des mets
Indemne et
Le sceptre
Brandi sept re-
Marquables fois,
Ma foi…
Quelques sceptres
Quelque
Quelle queue
Sceptre
Spectre
Soif
Sois feu !
Le sceptre, respect du spectre, en secret, peste sur les crêtes la perte des crêpes.
Dogme
Talc
T’as le « que »
Qui reste
Coincé
Dans le
Qué tal ?
Sauvetage
Voici ma contribution à la réhabilitation des mots. Je t’invite, ô lecteur, à y apporter la tienne. Même les mots qui ne riment pas méritent d’être sauvés. Mieux, ils valent d’être mis en exergue, valorisés par la question qu’ils nous posent : « dois-je être mis de côté sous prétexte que je suis différent ? »
Peut-être te moqueras-tu, lecteur, de cette volonté de réhabilitation des mots écartés du champ poétique sous prétexte qu’ils ne riment pas. Tout dogme brandissant le sceptre de l’intolérance est un monstre sans bulbe. Pour ma part, humble chat, même si je dois être ta tête de turc, j’accomplirai une valse sur le pauvre tertre d’algues rejetées par quelque océan d’ignorance.
Un « s » à la patte plus qu’un fil à la patte, sans fait d’Ô, mettrait en équilibre la deux-pattes.
Aller contre le sens est-ce un non-sens ? ( Eleusis, in « du dogme, l’humble bulbe des monstres à Sion)
Fait d’eau en cascade, en particulier par temps d’orage, je me réfugie au sec loin de toute goutte.
Seul un Chat Lettré peut chasser le mot et transformer sous sa patte la souris en monstre qui muscle la mule du dogme.
Quel travail ! La deux-patte en reste coite !
Coite, coite, coite, quoi t’est-ce ? demande la poule au chaton.
« Deux-pattes coite : contresens ou non-sens ? Telle est la question » (Yoda-Chat, in « Des deux-pattes »)
Ronronnements pour tes mots bienveillants, ô Eleusis ! (J’accepte ce titre : après le chat-potté, tremblez, deux-pattes, voici le chat-lettré !)
Belle réhabilitation..tu es vraiment talentueux charmant petit chat..certaines de tes définitions m’ont beaucoup fait rire!Bravo!
Pour ce que rire est le propre des deux-pattes, a écrit un talentueux deux-pattes, Alcofribas Nasier (anagramme de François Rabelais).
Bienvenue sur ces mots, et sur les autres aussi…