Ville Carton
Toile cirée
Récupérée
Aggloméré
Tout craquelé
Ces quelques murs
Tôle ondulée
C’est pour le toit
Un canapé
Presque du cuir
Bien défoncé
Par trop de sauts
De la marmaille
Qui fait la fête
Quelques bidons
Gardent manger
Passe un camion
Très lentement
C’est trop étroit
Pour se croiser
C’est un village
Construit de bric
Surtout de broc
Où les maisons
Sont en carton
Pour l’eau courante
Le caniveau
Sert à laver
Les doigts de pieds
Et la vaisselle
Passe un étron
Un vieux pigeon
Traîne son aile
Serres fondues
Recroquevillent
Flaques de boue
Jaillit un cri
C’est le voisin
Qui a un grain…
Un souvenir
Pendant deux ans, derrière l’immeuble où habite mon deux-pattes, à Pantin, une communauté rom s’était installée. Leur village était à l’image de cette ville carton. Ce n’était pas le bidonville que chantait Claude Nougaro, c’était la ville carton. Comme ces cartons sur lesquels s’endorment nombre de deux-pattes abandonnés à leur sort dans la rue. En écrivant ce texte, j’ai aussi pensé à cette image rapportée par un ami de mon deux-pattes : une femme, en Haïti, penchée au-dessus du caniveau, nettoyait sa vaisselle. Un étron a surgi, porté par le courant ; la femme l’a laissé passer et a repris son labeur comme si de rien n’était, au sein de sa ville carton.
Pensée
Oui, une pensée à tous les deux-pattes qui vivent dans une misère due à la gloutonnerie d’autres deux-pattes.
Une pensée en cette veille de Noël
Que la paix se répande sur la terre
Que la joie de vivre soit partagée par toutes les consciences
Que les deux-pattes abolissent toutes les barrières de l’incompréhension (en acceptant l’obscur de l’autre), qu’ils acceptent leur ambivalence (noir démon et ange délicat), afin de vivre debout car telle est leur position naturelle
Et qu’ils gardent au cœur l’espoir.
Le rêve est la source des mots qui germent
D’où jaillira cette fleur
Loin de toute ville carton.