Ciel renversé
J’ai traversé la lande
Je me suis faufilé au milieu des fougères
J’ai bondi par le ru qui, dans un chuintement, déchiquetait la terre
J’ai rejoint le rocher où de larges tapis, offrandes de la mousse, étalaient tout crépus leurs tendres oasis.
L’herbe rase était verte et son accueil, délice.
Ce jour il faisait beau.
Je me suis étiré, roulé dans ce berceau, tourné de tous côtés,
jusqu’à me retrouver
sur le dos
le regard
tourné vers le ciel bleu.
Cette herbe était si douce, paisible, sous ma nuque, que j’ai fermé les yeux.
Le ciel est resté là.
Mon sommeil a passé sans qu’il bouge là-haut.
Les nuages, ventrus, trainaient nonchalamment
leurs gros derrières blancs
diaphanes et crémeux,
La voûte en bleu de Klein recherchait son azur
Mais les gros cotonneux enflaient, ventripotents
Ils passaient pleins d’onction, au rythme des tortues,
prenant toutes les formes
Tête chenue velue aux multiples verrues
Sylphide délicate aux longues tresses folles
Babar avec sa trompe barrissant en silence
Loup blanc la gueule ouverte en quête de sa proie
Le crocodile blanc allongé dans la nue
qui rampe avec vigueur à l’affût d’un oiseau
Une pirogue longue alanguissait sa proue dans l’écume figée d’un tourbillon glacé
Le ciel se dénudait en longs étirements
Tout s’allongeait là-haut en longs filaments blancs
Le temps se rejoignait dans l’espace pressé
La terre voyageait dans le vide
sidéral
à vitesse éperdue
J’étais cloué au sol
Je ne pouvais bouger
Soudain je comprenais la force de cette grosse toupie qui tourne sur elle-même
J’avais conscience alors que si je me dressais sur mes pattes soudain
je serais emporté comme fétu de paille
au loin dans le néant
jeté comme un insecte
un petit grain de blé dans le vide initial
Je refermais les yeux, offrant mon corps, mon âme au vide, à l’infini
Quand je les ai rouverts, tout était apaisé.
Le ciel était là-haut, offert à mon regard, serein, paisible, bleu.
Je me suis redressé et je suis reparti.
Comme à son habitude, le sol rebondissait sous mes pattes rapides,
J’ai retrouvé la plaie béante du ruisseau sur la peau de la terre.
Je l’ai franchie d’un bond.
Voyage dans la lande
Mon vécu de chat
Ce Voyage dans la lande est un voyage dans la lande qui m’a offert l’infini. Pour un chat, ce n’est pas si fréquent. N’oublie pas, cependant, ô lecteur mon ami, que je suis un chat-rtiste. Comme tel, je me dois de rester ouvert, par tous les sens, à ce qui m’entoure. Où que je trottine, et je t’avoue que c’est plus souvent sur les toits de ma banlieue que sur des plages de sable blanc, je reste à l’affût de l’imprévu, à l’écoute de l’impossible, avec le goût de l’improbable.
Parenthèse au sujet des deux-pattes
Est-ce que le deux-pattes, aujourd’hui, voyage dans la lande ?
La question mérite d’être posée.
Ce que je remarque de la plupart des deux-pattes, c’est qu’ils n’aspirent qu’à une chose, être asservis à d’autres deux-pattes. Sinon, comment pourraient-ils tolérer la situation actuelle ?
Ils préfèrent la soumission, dès l’instant où, dans leur cage (qu’ils croient avoir choisie), ils reçoivent leur pitance, même trafiquée ou empoisonnée (du moment qu’il leur est raconté qu’elle est délicieuse).
Je me trompe peut-être.
Et, bien évidemment, cela ne concerne pas, ô lecteur, mon ami.
Pourquoi la lande ?
Cette étendue de terre où ne croissent que certaines plantes sauvages
(Petit Robert 2013), est pour moi la manifestation pleine et entière de la liberté. Celui qui voyage dans la lande peut ressentir pleinement la sensation d’être au monde, vivant, et la chance que cela représente. C’est une chance de se tenir à l’écoute du vent qui passe, avec le goût d’une herbe mâchée sur le chemin, la truffe emplie des fragrances des bruyères mêlées aux ajoncs, le regard pailleté d’or et de mauve, dressé sur cette herbe douce et griffue. Quand je voyage dans la lande, je vis la plénitude de mon existence de chat. C’est ma troisième vie, je ne suis plus le puissant mage que j’ai été au cours de la deuxième, ni le chaton orgueilleux de la première, mais elle est, ô combien, précieuse, parce qu’elle se manifeste par tout les sens quand je voyage dans la lande.
Rêver peut-être ?
Ce voyage dans la lande, il me suffit de baisser les paupières pour le revivre, pour que s’éveille mon sens-mémoire, pour que je me sente vivant.
Je l’ai écrit dès l’origine de ce Carnet de bord, j’écris entre rêve et réalité, sur la ligne de l’imaginaire, au cœur de la vie.
Je voyage dans la lande et non sur la lande. Il y a pénétration, confrontation de mon corps et de mon esprit à cette condensation de vie.
Ma lande
Ma lande n’est pas la même que celle de Wikipédia, beaucoup plus technique, mais celle-ci vous donnera une idée de celle-là. Celle que j’évoque est située à Ouessant, cette île française au large du Finistère, ce bout de terre inscrit dans l’océan.
Je n’y suis pas retourné depuis longtemps, mon deux-pattes étant casanier comme il n’est pas permis. Tu peux, parmi les diverses idées de dons que je te propose de me faire, rajouter un voyage suivi d’un séjour sur l’île d’Ouessant, afin qu’à nouveau je voyage dans la lande.
La douce et confortable lande de Ouessant..S’étendre et écouter le bruit des vagues et des bébés mouettes..
Dés les premières lignes, j’ai senti l’odeur de l’île..le ciel et la mer à perte de vue..
Belle et juste lecture, Courtois. Ta sensibilité est accordée avec cette île.
Je me suis étiré, roulé dans ce berceau, tourné de tous côtés,
jusqu’à me retrouver
sur le dos
le regard
tourné vers le ciel bleu.
Ronronnements pour ce bel écho, Maissa Boutiche…
Merci d’avoir laissé trace de ton passage.
Tous les sens captifs de ce qui les entoure…Un voyage immobile et grandiose…
Cela rappelle à la deux-pattes que je suis un de ses départs les yeux fermés. C’était au col du Tende (appelé autrefois col de la Corne) près d’un lac.
DANS la montagne, sous un soleil ardent, une eau glacée, un coeur heureux…
Je n’ai pas écrit cette expérience mais la rivière de la Corne, dans une de mes histoires est une réminiscence.
Merci pour ce dépaysement aux nues fantasmagoriques…
Oui, Eleusis, tu as perçu avec justesse ce DANS, quand nous sommes partie de la nature, montagne, lande ou océan.
Ronronnements…